Les chevaux à la fenêtre

« Allégorie grotesque sur la guerre, sur la manipulation au nom des grandes idées, sur l’absurdité de l’héroïsme, sur le vide qui se cache très souvent derrière des concepts comme « patrie » ou « devoir ».

Matéi Visniec

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Création 2013

Un huis clos qui s’ouvre comme une boite à musique.
Les sept personnages qu’elle enferme sont des virtuoses à la gueule cassée.
Devenus chair à canon, ils excellent dans l’art de l’aveuglement.
Et puisque Matéï Visniec ridiculise le pourquoi, tout peut se jouer dans la fantaisie, la légèreté…
C’est plus tard qu’on pourra se dire que ce n’était pas drôle, en fait…

…Cette fenêtre n’ouvre sur rien d’autre que la folie guerrière des états et notre fainéantise à la contrecarrer.

Visniec parle de la guerre, c’est pour dépecer l’absurdité d’un enfer à broyer les chairs, à pétrifier les âmes et à faire imploser les raisons. Le texte, écrit en 1987, avant le départ de l’auteur de Roumanie, est d’abord accepté par la censure, qui y perçoit l’exaltation patriotique avant de finalement l’interdire. « Je voulais justement, dit Matéi Visniec, démolir la comédie du langage patriotique et toutes les formes du discours qui ont conduit au lavage des cerveaux et à agir aveuglément. »
C’est avec Les Chevaux à la fenêtre que l’auteur est joué pour la première fois en France au début des années 90, vouant ainsi à la pièce une affection particulière.
Mourir pour des idées – sans même parler de leur nature -, est-ce une bonne idée ? La patrie mérite-t-elle le sang qu’on verse pour elle ? Qui est-on et que cherche-t-on à vouloir se poser en héros ? En quoi se battre est-il un acte de bravoure ? Plusieurs saynètes mettent en scène le père, le mari, le fils… celui qu’on arrache et que l’amour même ne retient plus ou ne fait plus revenir à la pensée claire. Car, ce n’est pas le rouleau compresseur de la guerre dans son horreur qui est seulement dénoncé par la pièce ; c’est aussi l’insondable pouvoir qu’elle détient sur nous, nous poussant à la sauvagerie, ou bien la sinistre empreinte qu’elle laisse sur les raisons. Il y a aussi la complicité dangereuse de ceux qui se prennent pour des héros, ces exaltés qui mettent toute leur vitalité à servir la cause nationale. Comment ne pas lire en filigrane la vanité d’un certain type d’engagement politique et le sectarisme auquel il condui(si)t ? Comment ne pas entrevoir la chair à militer que les partis et les hommes politiques savent bien utiliser à leur profit ? Comment peut-on à ce point se laisser envahir par des sentiments artificiels jusqu’à en perdre la raison ?
Le crescendo de la démence, jusqu’à l’infantilisation, est fort bien rendu par Claudiu Bleontz, que le public roumain connaît bien, prodigieusement investi dans ses différents personnages. Les murs de la scène semblent ne pas être assez larges pour la folie qu’il incarne avec un réalisme et une violence si juste qu’il sème parfois le doute et l’effroi dans nos esprits. La mise en scène de Radu Dinulescu et les décors et accessoires de Doru Pacuraru, des bottes par dizaines, des casques improbables, du matériel de cantine militaire d’un autre âge, génèrent l’étouffement et configurent avec un esthétisme sûr ce « théâtre de batailles à domicile » qui fait s’interroger sur l’instrumentalisation des nationalismes, les motivations des combattants et les dégâts indélébiles de la guerre.

Distribution

Mise en scène et jeu : Béatrice Moulin, Didier Pourrat et Robert Bianchi (ou Patrice Lattanzi)

Musique : Didier Pourrat

Scénographie : Emmanuel Brouallier

Lumière : Yoann Coste

Administration : Corinne Badiou

Remerciements à Nestor Makhno