Le choix d’un auteur …..
J’ai choisi de mettre en scène cette écriture pour ce qu’elle amène : une réflexion philosophique, anthropologique et politique, et par l’harmonie qui s’opère entre un réalisme acerbe, un surréalisme lyrique et un humour féroce.
Le défi étant d'y rester fidèle dans la mise en scène.
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« Je suis l'homme qui vit entre deux cultures, deux sensibilités,
je suis l'homme qui a ses racines en Roumanie et ses ailes en France. » MatÉi Visniec
Né au nord de la Roumanie, le 29 janvier 1956. Dans la Roumanie communiste de Ceausescu, il découvre très vite dans la littérature un espace de liberté. Il se nourrit de Kafka, Dostoïevski, Camus, Beckett, Ionesco, Lautréamont… Il aime les surréalistes, les dadaïstes, les récits fantastiques, le théâtre de l'absurde et du grotesque, la poésie onirique et même le théâtre réaliste anglo-saxon, bref, tout sauf le réalisme socialiste.
Plus tard, parti à Bucarest pour étudier la philosophie, il devient très actif au sein de la génération 80 qui a bouleversé le paysage poétique et littéraire de la Roumanie de l'époque. Il croit en la résistance culturelle et en la capacité de la littérature de démolir le totalitarisme. Il croit surtout que le théâtre et la poésie peuvent dénoncer la manipulation des gens par les "grandes idées".
Avant 1987 il s'affirme en Roumanie avec sa poésie épurée, lucide, écrite à l'acide. A partir de 1977 il commence à écrire aussi des pièces de théâtre qui circulent abondement dans le milieu littéraire, mais qui restent interdites de création.
Devenu auteur interdit, en septembre 1987, il quitte la Roumanie, arrive en France et demande asile politique. Il rédige, dans le sein de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales une thèse sur la résistance culturelle dans les pays de l'Europe de l'Est à l'époque communiste, mais commence aussi à écrire des pièces de théâtre en français. Entre 1988 et 1989 il travaille pour BBC, et à partir de 1990 pour Radio France Internationale.
Après un premier succès aux Journées des Auteurs organisées par le Théâtre les Célestins de Lyon, en 1991, avec sa pièce "Les Chevaux à la fenêtre", Matéi Visniec est découvert par de nombreuses compagnies et ses pièces sont jouées à Paris, Lyon, Avignon, Marseille, Toulouse, la Rochelle, Grenoble, Nancy, Nice, etc.
A ce jour, Matéi Visniec compte de nombreuses créations en France. Une trentaine de ses pièces écrites en français sont éditées (Lansman, Actes Sud-Papier, L'Harmattan, Espace d'un Instant, Crater).
Il a été à l'affiche dans une trentaine de pays dont Italie (Théâtre Piccolo de Milan), Grande Bretagne (Théâtre Young Vic de Londres), Pologne (Théâtre Stary de Cracovie), Turquie (Théâtre National d'Istanbul), Suède (Théâtre Royal de Stockholm), Allemagne (Théâtre Maxim Gorki de Berlin), Israël (Théâtre Karov de Tel Aviv), Etats-Unis (Théâtre Open Fist Company de Hollywood), Canada (Théâtre de la Veillé de Montréal), Japon (Théâtre Kaze de Tokyo)…
Il est devenu, depuis 1992, l'un des auteurs les plus joués au Festival d'Avignon (off) avec une quarantaine de créations. A Paris ses pièces ont été créées au Théâtre du Rond Point, au Studio des Champs Elysées, au Théâtre de l'Est Parisien, au Ciné13 Théâtre, au Théâtre International de Langue Française, au Théâtre du Guichet Montparnasse, au Théâtre de l'Opprimé…
En Roumanie, depuis la chute du communisme, Matéi Visniec est devenu l'auteur dramatique vivant le plus joué. Le Théâtre National de Bucarest a créé ses pièces "La Machine Tchékhov" et "L'histoire du communisme racontée aux malades mentaux". Il est aussi l'auteur de trois romans édités en Roumanie.
….. et d’une œuvre
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Les chevaux à la fenêtre
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Editions Crater, 1996 / Editions Espace d’un Instant, 2010 - Pièce écrite en 1986
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L’histoire
« 1699 La paix de Karlowitz »-31 pages plus tard- « 1815, La Prusse prend la Poméranie suédoise »-116 années de guerre.
...Et tout commence par le Traité de Karlowitz qui annonce la fin de la cinquième guerre Austro-turque. Le temps d'un roulement de Tambour... Et tout recommence « L’Autriche prend le duché de Goldern ».
Le messager sort ses « partitions » s'installe au pupitre, accroche à son cou son petit tambour et claironne guerres et paix. Puis pénètre chez les gens avec l'enthousiasme d'un professionnel consciencieux (aguerri) afin d’y délivrer tantôt un avis de décès ou encore un lot de consolation, une bonne parole, un peu de soutien. Il y reçoit quelques noyaux d'abricot à déguster, quelques confidences, un peu de repos...
Les trois personnages féminins pour survivre, la mère au drame qui va frapper son enfant, la fille et l'épouse à celui qui a frappé le père et le mari, décident de se construire un monde qui échappe à la réalité du monde extérieur belliqueux.
La mère prépare la valise du soldat comme on prépare un voyage. La fille joue les petites et se laisse encore laver les cheveux. La femme désire ardemment retrouver son époux.
Elles sont accompagnées dans leurs dérives par un messager. Qui va d’abord parfaitement assumer sa fonction et tenter de maintenir haut les cœurs pour la Patrie. Puis, il va s’érailler, s'installer peu à peu, croquer un noyau, deux… au gré de sa propre déshérence.
La folie douce de ces femmes agit comme un révélateur sur la fragilité de l’autre.
Au bout des siècles, ils auront trouvé, hommes et femmes, un système de survie qui les sauve, en même temps qu’il les engloutit.
ON ACHÈVE BIEN LES CERVEAUX de Stephen Bunard, RUEDUTHEATRE juillet 2006
« Quand les éléphants se battent, c’est l’herbe qui est piétinée », dit un proverbe africain. Quand Visniec parle de la guerre, c’est pour dépecer l’absurdité d’un enfer à broyer les chairs, à pétrifier les âmes et à faire imploser les raisons. Le texte, écrit en 1987, avant le départ de l’auteur de Roumanie, est d’abord accepté par la censure, qui y perçoit l’exaltation patriotique avant de finalement l’interdire. « Je voulais justement, dit Matéi Visniec, démolir la comédie du langage patriotique et toutes les formes du discours qui ont conduit au lavage des cerveaux et à agir aveuglément. »
C’est avec Les Chevaux à la fenêtre que l’auteur est joué pour la première fois en France au début des années 90, vouant ainsi à la pièce une affection particulière.
Mourir pour des idées – sans même parler de leur nature -, est-ce une bonne idée ? La patrie mérite-t-elle le sang qu’on verse pour elle ? Qui est-on et que cherche-t-on à vouloir se poser en héros ? En quoi se battre est-il un acte de bravoure ? Plusieurs saynètes mettent en scène le père, le mari, le fils… celui qu’on arrache et que l’amour même ne retient plus ou ne fait plus revenir à la pensée claire. Car, ce n’est pas le rouleau compresseur de la guerre dans son horreur qui est seulement dénoncé par la pièce ; c’est aussi l’insondable pouvoir qu’elle détient sur nous, nous poussant à la sauvagerie, ou bien la sinistre empreinte qu’elle laisse sur les raisons. Il y a aussi la complicité dangereuse de ceux qui se prennent pour des héros, ces exaltés qui mettent toute leur vitalité à servir la cause nationale. Comment ne pas lire en filigrane la vanité d’un certain type d’engagement politique et le sectarisme auquel il condui(si)t ? Comment ne pas entrevoir la chair à militer que les partis et les hommes politiques savent bien utiliser à leur profit ? Comment peut-on à ce point se laisser envahir par des sentiments artificiels jusqu’à en perdre la raison ?
Le crescendo de la démence, jusqu’à l’infantilisation, est fort bien rendu par Claudiu Bleontz, que le public roumain connaît bien, prodigieusement investi dans ses différents personnages. Les murs de la scène semblent ne pas être assez larges pour la folie qu’il incarne avec un réalisme et une violence si juste qu’il sème parfois le doute et l’effroi dans nos esprits. La mise en scène de Radu Dinulescu et les décors et accessoires de Doru Pacuraru, des bottes par dizaines, des casques improbables, du matériel de cantine militaire d’un autre âge, génèrent l’étouffement et configurent avec un esthétisme sûr ce « théâtre de batailles à domicile » qui fait s’interroger sur l’instrumentalisation des nationalismes, les motivations des combattants et les dégâts indélébiles de la guerre.